30 décembre 1916, Bezonvaux
Mon cher époux,
J’espère que tu recevras cette lettre. Moi, je n’ai pas mangé depuis trois jours car les enfants en ont plus besoin que moi. Le village a été bombardé… La chambre de Robert et de Laure a été complètement détruite, nous sommes obligés de nous réfugier dans la cave où nous avons mis des matelas. Ma mère habite chez nous maintenant ; elle va bien. Mon frère, par contre, n’a pas eu cette chance ; il a été retrouvé sous les décombres avec sa femme et son enfant. Robert et Jeanne ont décalé leur mariage. Il aura lieu dans cinq mois, j’espère que tu seras là.
La guerre a détruit le village, notre vie, tué des milliers et des milliers de personnes qui n’ont rien demandé, je vis un véritable enfer. Nous vivons dans les cris, les pleurs et les cadavres que l’on retrouve le lendemain des bombardements. La boulangerie a été détruite et le boulanger est mort, le village est ravagé ! L’église est envahie par des soldats ennemis qui contrôlent notre village. Nos champs ont été détruits et il reste juste de quoi nourrir les enfants car les armées nous prennent la moitié de nos récoltes.
Surtout, tiens bon et pense à nos retrouvailles quand tu reviendras. Je ne peux pas imaginer ma vie sans toi ; alors résiste pour moi et pour les enfants. Je suis contente que tu m’aies envoyé une lettre, toute la famille pense à toi et te soutient.
Je suis aussi heureuse que tu aies survécu à cette blessure. J’ai peur chaque jour de recevoir une lettre qui nous informe qu’il t’est arrivé quelque chose.
Je t’embrasse fort et les enfants aussi.

Marguerite

Le point d’histoire : pendant la Première guerre Mondiale, les populations civiles à l’arrière sont aussi touchées par la guerre. Les femmes sont appelées à travailler dans les champs et les usines de production militaire, vivant dans la peur de recevoir une lettre leur annonçant la mort de leurs proches. La propagande d’Etat censure les informations et cherche à faire croire que la guerre sera rapide et facile, alors que le conflit devient de plus en plus meurtrier et que de nombreuses femmes deviennent veuves et des enfants orphelins.