[Portrait] Un camp particulier : l’internement à Saint-Denis – Soizic Delsalle

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© Soizic Delsalle. Daniel Commins dans sa maison de Berzé-le-Châtel (71). Il est aujourd’hui un acousticien de renommée mondiale. Il a participé à la construction de nombreux édifices liés à la musique.

Ses parents sont tous les deux nés à Liège en Belgique et ils sont Juifs. Son père est de nationalité anglaise et sa mère d’origine polonaise. Ils étudient à Liège dans les années 30 et c’est là qu’ils se rencontrent. Son père travaille en Belgique dans une entreprise de sidérurgie (zinc, cuivre) qui se nomme « La Vieille Montagne. » Daniel a une sœur aînée, née en 1939 et elle aura donc la nationalité britannique.

En mai 1940, la famille reçoit un appel de l’ambassade britannique  les prévenant que les Allemands envahissent la Belgique. Il leur est alors conseillé de déménager du côté de la Belgique où les Allemands n’étaient pas encore parvenus. Quelques jours plus tard, nouvel  appel  leur disant de quitter définitivement le territoire belge, alors que Mme Commins est enceinte de 8 mois de leur deuxième enfant, Daniel. Aussi, ils décident  de partir à pied jusqu’à la frontière belge qu’ils passent sans trop de difficultés. Leur fuite les entraîne jusque dans l’Aveyron -département situé au sud du massif central- dans la zone libre. C’est là que Daniel nait le 24 mai 1940 à la fin de la semaine qui  suit leur arrivée à Capdenac.

Son père a pu continuer à travailler dans l’entreprise de « La Vieille Montagne » puisqu’elle avait une succursale à Decazeville, près de Capdenac ; l’entreprise les a beaucoup aidés. Ils ont donc pu trouver un logement dans une petite maison près d’un barrage électrique de la rivière du Lot à Capdenac. Quelques temps après leur arrivée, le maire du village leur conseille de se cacher : ils se réfugient dans une autre maison, celle d’une famille juive qui a disparu à ce moment-là.

En mars 1943,  les Allemands obligent la police française à recenser la population de la région ; de ce fait, la famille est recensée près de Toulouse où  le père de Daniel s’est rendu seul ; en effet, sa mère a pu rester chez eux en raison des deux enfants en bas âge (- de 5 ans).

Le père de Daniel Commins est donc arrêté en tant que Juif par la police française. Étant de nationalité britannique, il se fait « trier »  à Paris et est emmené dans une prison à Saint Denis où étaient regroupées les personnes de nationalité britannique sous le contrôle de la Croix Rouge anglaise. Selon l’historien Denis Peschanski, le 9 septembre 1940, l’Administration militaire décida l’internement des Anglais et des habitants du Commonwealth, (les hommes de 16 à 65 ans) à la caserne de Saint-Denis. C’est la Croix-Rouge britannique qui s’occupait de ce camp. Le 6 décembre 1940, une nouvelle opération visa les femmes, les enfants et les vieillards britanniques qui furent internés à la citadelle de Besançon puis  transférés à Vittel (Vosges). Les prisonniers du camp de Saint-Denis ont été libérés à la libération de Paris le 25 août 1944[1].

Ce camp était une menace pour Hitler puisque le gouvernement britannique avait  menacé d’exécuter un prisonnier allemand pour tout prisonnier britannique assassiné.

Le père de Daniel Commins passe 18 mois dans cette prison qui était en fait une caserne, « une espèce d’hôtel », où les prisonniers avaient à disposition des lits convenables en ce temps de guerre. Ils avaient à manger et de quoi se distraire en pratiquant différents sports (terrain de tennis, etc.) ou jouer de la musique (un groupe de jazz avait été formé). Ils  organisaient  même des tournois de jeux de cartes auxquels le père de Daniel Commins prenait beaucoup de plaisir à participer.

Les prisonniers pouvaient correspondre avec leurs proches. Recevoir des colis d’habits ou encore de nourriture. Dans cette prison, il n’y avait pas seulement des Britanniques, mais des Palestiniens, ou encore des Indiens qui avaient opté pour la nationalité britannique afin de se protéger, le Royaume-Uni étant un pays « sûr » à cette époque.

Du côté de l’Aveyron, Daniel, sa sœur et sa mère sont restés à Capdenac, protégés du début jusqu’à la fin de cette dure période par  le maire du village. Le couple a pu correspondre par lettres pour ne pas perdre espoir et se convaincre que la guerre allait bientôt finir et qu’ils allaient se retrouver.

En août 1944 un sentiment d’inquiétude commence à se faire sentir et  M. Commins  perd espoir… Heureusement, fin août, Paris est libéré par les Américains, les prisonniers du camp aussi, mais ils sont livrés à eux-mêmes. Décidant de se réunir dans un café, ils jouent de la musique, font la fête même si, à ce moment-là, ils ne savent pas très bien s’ils sont vraiment libres.

Le père  de Daniel Commins quitte Paris pour retrouver sa famille à Capdenac. Ils y restent quelques mois puis décident de retourner à Liège en Belgique. À la frontière un problème se présente, le petit Daniel ne peut pas passer car il est né en France ! Il faudra que sa mère fasse un scandale dans le poste frontière pour qu’enfin il soit autorisé à la franchir.

Ils se réinstallent donc à Liège dans un appartement avec pour seuls meubles des caisses en bois. En 1950, ils ont pu se reconstruire et enfin vivre une vie sans inquiétude.


[1] Peschanski Denis. Les camps français d’internement (1938-1946) – Doctorat d’État. Histoire Université Panthéon-Sorbonne – Paris I, 953 p., p. 350. https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00362523/document

 

Soizic Delsalle, Première 

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