[Résistance] Cluny, février 1944 : « la rafle » – Chantal Clergue

Comme l’écrit Jean-Claude Barbier, directeur de recherche au CNRS, « L’histoire de la Résistance à Cluny n’est – c’est le moins qu’on puisse dire – pas simple à établir : à notre connaissance, il n’existe pas de recherche complète sur cette question1. »

Que nous rapportent les témoins de l’époque ?

Depuis la fusion des mouvements de résistance (MUR- Mouvements unis de la Résistance) et l’arrivée à Cluny du capitaine Browne-Bartroli (Toto et Tiburce sont ses deux pseudonymes), en 1943, « la résistance clunisoise monte en puissance2. » De leur côté, les Allemands réagissent : ils installent leur Kommandantur à l’hôtel de la gare, tenu par le couple Chanuet. C’est alors, d’après Germaine Guignard, « le règne de la méfiance et de la peur3 », car personne n’est à l’abri d’une dénonciation. Les premières arrestations débutent. Les Clunisois Claudius Mangeard et Claudius Pautet -adjudant de gendarmerie- sont déportés en septembre 1943.
Que cherchent les Allemands ? Les maquis où se sont enrôlés de nombreux jeunes qui refusent de partir au STO. « Ils étaient au courant des parachutages et de ce qu’ils contenaient ; aussi, il fallait déplacer les armes de leur cachette et cela se faisait la nuit4. »
Le 11 novembre 1943, première attaque des Allemands au maquis de Beaubery puis les arrestations commencent à Cormatin, Bussières, Pierreclos. À Blanot, cinq hommes sont appréhendés le 23 janvier et déportés. L’étau se resserre sur le Clunisois.

13 février au soir, c’est malgré tout la fête à Cluny : les conscrits de la classe en 4 organisent dans les Cras un bal clandestin. Les derniers fêtards s’éclipsent vers les cinq heures du matin, à l’instar de Simone Grandjean. Le temps est à la neige et une bise glaciale souffle sur la cité abbatiale que les Clunisois découvrent occupée par les troupes allemandes depuis quatre heures du matin. « Personne n’a le droit de circuler, chacun doit rester chez soi5 », la Poste est occupée, la gendarmerie réquisitionnée et les carrefours surveillés…
« Il règne sur Cluny un silence total, lourd, oppressant6 » et les opérations de la SIPO-SD7 de Lyon commencent. Les Allemands savent quelles maisons perquisitionner, preuve que les dénonciateurs ont bien œuvré.
Les résistantes sont bien sûr arrêtées mais lorsque les hommes ne sont pas là ou qu’ils réussissent à s’enfuir, peu importe : l’ordre est intimé aux épouses de suivre les soldats. À la va-vite, elles attrapent un manteau et laissent derrière elles la famille, les enfants. C’est le cas de Germaine Moreau : « Mes visiteurs, un gendarme et un soldat en uniforme, cherchaient Antoine. J’ai répondu que j’ignorais où il était. Ils sont partis puis revenus peu après. « Madame, nous avons ordre de vous arrêter. » (…) Avant de m’emmener, ils ont obligés maman et la famille à quitter la maison en leur laissant les clefs8. » Direction la Kommandantur.

Au total, selon Jean-Claude Barbier, 200 personnes sont arrêtées à Cluny entre le 14 et le 17 février9. Certaines seront relâchées, d’autres non. C’est le cas des soixante-cinq personnes déportées : 45 hommes et 20 femmes, dont 10 personnes y résidant depuis peu ou de passage à Cluny, comme les époux Morlevat. Professeur de mathématiques, Georges Morlevat loge à l’hôtel de l’abbaye où sa femme est venue le rejoindre pour quelques jours. Arrêtés avec toute la famille Beaufort –propriétaires de l’hôtel- et le reste de la clientèle, ils seront déportés et ne reviendront pas.

En fin d’après-midi, les familles peuvent enfin se rendre à la Kommandantur. Là, peut-être pour la dernière fois, ils peuvent rencontrer une épouse, un mari, un fils.
Une affiche est apposée dans la ville par les troupes du SIPO-SD. Le message est clair : « la police allemande sait qu’un certain nombre d’habitants comprenant quelques personnalités de Cluny ont travaillé pour les terroristes et aidé l’organisation de la résistance. Quelques habitants viennent d’être emprisonnés et seront passibles d’une punition. La population de Cluny est avertie que pour la moindre chose tentée contre les troupes d’occupation, des mesures sévères seront prises. Toutes les personnes convaincues de travailler ou d’aider la résistance (sic) seront mises à mort et leurs biens détruits10. »

Une deuxième vague d’arrestations se produit le lendemain. Jacques Oferman du réseau Buckmaster, Simone Grandjean avec ses parents qui ont accueilli des réfractaires au STO, Jean- Pierre Mussetta (1914-1944), et Antoine Guillottin aux Arts-et-Métiers11. À 11 heures, c’est au tour de M-L Zimberlin. Une traction-avant vert de gris stoppe dans la cour de l’École pratique. M. Pierre, directeur, entre dans la salle E avec les Allemands. La Zim revêt son manteau, prend ses papiers et se tourne vers ses élèves : « Au revoir mes petits enfants, je vous aime bien12. »   

Tous seront dirigés vers la prison de la santé –siège de la Gestapo- puis à Montluc. Ensuite, c’est le départ pour Compiègne ou Romainville avant la déportation vers les camps de : Auschwitz (Antoine Guillotin), Bergen-Belsen (Jacques Guéritaine), Reichenau (André Martin), Buchenwald puis Flossenburg (Antoine Verjat et Marcel Delcaire), Dachau (Roger Duplessis et Henri Lacoque), Neuengamme (Louis Demonfaucon), Mauthausen13, Ravensbrück14. Trente Clunisois ne reviendront pas et la Zim décèdera peu après avoir touché le sol français15.

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Les déportés et leurs familles devant l’hôtel de l’abbaye, 14 février 1965 16.

Comment peut se réveiller une ville après une telle tragédie ? Il manque des Clunisois à l’appel, les commerces sont pillés et leurs mobiliers brûlés17. Les comptes se régleront à la fin de la guerre.

« Nous reconnaitrons bien les traitres
Leur chanson n’est pas de chez nous….18 »

Pour le moment, il s’agit non pas de baisser la garde mais de continuer le combat. La Résistance se restructure et les parachutages se multiplient. Avant la libération officielle, « Folle mais courageuse provocation : Cluny, totalement aux mains de la Résistance et du maquis, est déclarée « ville libre19. »


1 Jean-Claude Barbier, directeur de recherche CNRS UMR CES Matisse Université Paris I Panthéon Sorbonne avec le concours d’Olivier Büttner (CEE-CNRS). Alfred Golliard, préfet résistant (1881-1944), Matériaux pour une biographie Rapport final pour le Ministère du travail. Mars 2007, p. 24. http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_Golliard_-_premiere_partie.pdf
2 Amicale des déportés de Cluny. « Le pire c’est que c’était vrai ! » Cluny : JPM éditions, 2005, 411 p., p. 13.
3 Ibidem., p. 17.
4 Ibidem., témoignage de Georgette Colin, p. 43.
5 Ibidem., p. 59.
Ibidem., témoignage de Michel Laplace, fils de Joseph Laplace, p. 66.
7 SIPO= Sichereitspolizei ; SD = Sichereitsdienst.
8 Amicale des déportés de Cluny. « Le pire…, Témoignage de Germaine Moreau, p. 61.
9 Jean-Claude Barbier, directeur de recherche CNRS UMR CES Matisse Université Paris I Panthéon Sorbonne avec le concours d’Olivier Büttner (CEE-CNRS). Alfred Golliard…, op.cit., p. 25.
10 Ibidem., p. 74.
11 Francis Gelin (employé) et Antoine Michel (sous-directeur) seront arrêtés le 17 février.
12 Souvenirs de Raymond Cardinal et d’Henri Longueville, prat’siens.
13 B. Alix, J. Alix, G. Arpin, F. Baury, J-B. Beaufort, A. Beaufort, A. Belot, J. Bonat, A. Charles R. Chanut T. Chevillon, F. Dargaud, P. Fouillit, L. Gambut, F. Gelin A. Golliard, J-L. Grandjean, J. Laplace, J. Lardy, R. Laroche, G. Malere, A. Martin, C. Michel, C. Moreau, J-P. Mussetta, H. Nigay, J. Noly, E. Rigaud, L. Sanson, G. Terrier, J. Their.
14 ML Zimberlin, Marie Grandjean, M. Parizot, M. Strack-Berthelemy, B. Sigollet. Les autres Clunisoises : J. Beaufort, C. Billonnet, S. Burdin, R. Cugnet, F. Dubois-Saumade, Simone Grandjean, G. Moreau, H. Renaud,  J. Sauzet, S. Taillandier-Lambert, G. Terrier et M. Verjat partiront ensuite à Mauthausen ; G. Colin et J. Dillenseger  partiront de Ravensbrück pour Holleischen.
15 Et, sur les 12 personnes résidant depuis peu à Cluny ou « de passage », six au moins décèdent dans les camps.
16 Archive privée, famille Alix.
17 Cafés Lardy, Moreau, Nigay et Fouillit.
18 Aragon. Poèmes inédits.
19 Amicale des déportés de Cluny. « Le pire…, p. 283.

Chantal Clergue – CPE

2 réflexions sur « [Résistance] Cluny, février 1944 : « la rafle » – Chantal Clergue »

  1. A Blanot (71) suite à dénonciation sept hommes seront arrêtés: les trois frères Commerçon dont Joseph et Joanny seront fusillés à Neuville sur Saône le 12 juillet 1944, leur frère Pierre qui décédera le 2 juillet 1944 dans le train en partance pour Dachau avec Jean Jusseau et Jean Sangoy, alors maire de Blanot arrêté à la place de M. Gonon faute de l’avoir trouvé.
    Jean Lambert et Joseph Bouillot arrêtés le 14 février 1944 seront torturé à Montluc puis envoyés à Auschwitz (convoi des tatoués) le 27 avril 1944. Jean Lambert sera transféré ensuite à Buchenwald puis Mittelbau-Dora où il décédera le 16 octobre 1944.

  2. L’exploitation des hommes des femmes par le travail, la fatigue, la soif, la faim, la maladie, la peur, ont eu raison de beaucoup d’entre eux. Certain ont eu l’instinct
    de conservation. Il y a toujours quelque chose auquel se rattacher, s’accrocher.
    (L’étoile du berger, le clocher de saint Georges)

    annie

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